Le Manifeste rendu public le 30 mai dernier, commence par regretter « l’arrêt du processus de décolonisation du Sahara Occidental, sans que les résolutions permanentes de l’ONU soient reconnues par le Gouvernement du Maroc ». Cette affirmation pour le moins péremptoire est assénée avec d’autant plus de tranquillité que l’invitation adressée au « gouvernement marocain pour exposer les “Fondements de sa position" », (selon le compte-rendu des travaux) est restée sans suite.
La séance prévue à cet effet a dû être suspendue en raison de l’absence du représentant marocain. Absence d’ailleurs parfaitement logique vu le panel des invités confectionné sur mesure pour n’entendre qu’un seul son de cloche. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter au script de l’intervention totalement [s]débile[/s] de l’ambassadeur d’Afrique du Sud à Madrid qui a affirmé textuellement, en s’adressant à l’assistance : « Si on vous laissait à vous le choix, seriez-vous du côté des Anges ou de celui du Diable ? ». Si malheureusement le niveau d’une certaine diplomatie africaine n’est pas pour surprendre, celui de l’objectivité scientifique des journées universitaires madrilènes en a pris un sacré coup !
Droits de l’Homme et précarité des réfugiés
Le Manifeste dénonce la « violation permanente des droits humains des habitants dans les zones occupées ainsi qu’un grave problème humanitaire dû à la situation de la population sahraouie dans les campements de réfugiés à Tindouf (Algérie), dépendante de la coopération et de l’aide internationale pour sa survie. »
La présence à la séance consacrée aux droits de l’homme du vice-président de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme dont l’intervention n’est pas mentionnée dans le compte-rendu, donne déjà un aperçu sur la réalité de l’exercice des libertés publiques au Maroc. Si les violations des droits de l’homme qui se produisent encore de temps à autre à Laayoune, à Ifni ou à Casablanca sont dénoncées et par la société civile et par les médias, des enquêtes, y compris parlementaires sont diligentées, pour faire la lumière sur ces cas et prendre les dispositions qui s’imposent. L’insurmontable rideau de sable est en réalité de l’autre côté, d’où rien ne filtre sur les violations permanentes des droits de l’homme à Tindouf ? Pourquoi les signataires prennent-ils donc le risque de mentir par omission, puisque les droits de l’Homme sont indivisibles ?
Et pourquoi diable pleurer sur la précarité du quotidien des réfugiés de Tindouf au lieu d’inviter toutes les bonnes volontés à œuvrer ensemble pour leur rapatriement vers leurs localités d’origine, au lieu de les laisser parqués comme dans un zoo pour servir d’attraction aux visiteurs qu’on cherche à apitoyer sur leur sort. Parqués contre leur volonté, quand on constate avec quelle facilité les émigrés clandestins subsahariens traversent la frontière algérienne au niveau d’Oujda après un périple de plusieurs milliers de Km, et au contraire l’étanchéité du no man’s land imposé autour de Tindouf.
A Tindouf, il n’y a pas de réfugiés mais des prisonniers dans des camps d’internement sans clôture car le désert est infranchissable, surveillés par les capos du Polisario qui détiennent toute la logistique y compris les vivres qu’ils reçoivent à profusion des ONG et dont ils ne se gênent pas à en commercialiser ce qu’ils veulent comme cela a pu être constaté sur place.
L’Espagne puissance Administrante
Le manifeste poursuit : « Il revient à l’Espagne (…), en tant qu’ancienne puissance coloniale encore à ce jour puissance administrante du territoire, de jouer un rôle actif et une implication politico-diplomatique directe dans la résolution de ce problème de décolonisation inachevée (…) ». En clair, les signataires, en brandissant le sceptre surréaliste de la puissance toujours administrante, voudraient compromettre les relations de bon voisinage et de coopération entre l’Espagne et le Maroc pour faire carrément un saut dans l’inconnu. Ils voudraient rouvrir des plaies en cours de cicatrisation pour exacerber les antagonismes fanatiques (cf. Aznar et Al-Zawahiri) qui veulent nous ramener aux temps des Croisades et de la Reconquista.
Au lieu de disserter sur le Sahara, l’ambassadeur d’Algérie qui a déclamé comme de coutume la non implication de son pays dans le contentieux, aurait pu par contre fournir à l’assistance des précisions utiles sur les moyens mis en œuvre par les autorités algériennes pour s’assurer que les armes lourdes et légères mises à la disposition du Polisario ne tombent pas entre les mains des Jihadistes. L’auditoire madrilène qui a douloureusement vécu les attentats du 11 mars avait besoin d’être rassuré de savoir que Al Qaeda au Maghreb dont le fief est en Algérie et qui tente par tous les moyens d’expédier ses commandos à l’assaut de l’Europe via le Maroc et l’Espagne, ne peut avoir de relation incestueuse avec le Polisario ou son environnement. Quand on voit les quantités de denrées fournies par les ONG revendues sur les marchés du sud algérien et du nord mauritanien, il y a de quoi s’alarmer. A moins que l’armée algérienne ne confisque derechef armes et munitions après chaque expédition contre le Maroc, ce qui constituerait l’aveu implicite que le Polisario n’est que la force supplétive de l’armée algérienne !
Mais hélas non, là n’est pas le centre d’intérêt des Universités Madrilènes qui déplorent surtout que l’Etat espagnol n’en fasse pas assez à leur gré ! « Que seule la société civile de ce pays intervient le plus au plan de la solidarité avec le peuple sahraoui », ce pourquoi ils se proposent à travers leur initiative de « tenir un espace public de réflexion, visant à remettre à l’ordre du jour de l’agenda politique du pays la question du Sahara et favoriser ainsi la mise en œuvre du projet du peuple sahraoui », autrement dit du Polisario.
La feuille de route proposée
A cet effet, les universités publiques madrilènes se fixent un ensemble d’objectifs en rapport avec les politiques à mener sur ce dossier :
1.-« Poursuivre le renforcement de la plateforme universitaire permanente de travail solidaire avec les institutions sahraouies pour mener à bien l’effort de recherche et de formation orientées vers une meilleure connaissance de la réalité sahraouie et de son histoire pour faciliter une meilleure intervention sociale ». Les signataires reconnaissent implicitement qu’ils ignorent tout de la réalité sahraouie mais qu’ils sont prêts à s’investir avec ses institutions (le Polisario pardi !) pour échafauder une histoire sur mesure visant à servir de propagande au Polisario.
2.-« Réactiver les programmes de coopération, entre autres, dans le domaine (…) de la reconnaissance, la défense et la protection du patrimoine culturel et de la mémoire historique sahraouie, etc. ». Passons sur la contradiction de vouloir « protéger une mémoire historique » qu’on ignore, mais rappelons tout de même que si l’on peut faire du télé-enseignement à distance, il est difficile de protéger un patrimoine à des centaines de Km du cœur vibrant de sa culture. Les tribus sahraouies descendent pratiquement toutes des Chorfas Idrissides du nord de la vallée du Draa, tel Moulay Abdeslam Ben Mchich (entre Tanger et Tétouan) pour les tribus Rgibat, ou pour les douze tribus Teknas (les Izarguiyines venus de la région comprise entre Ifni et Tarfaya, les Laroussiyine originaires de Bni Arros, les Oulad Dlim d’Essaouira, les Oulad Tidrarine de Ouezzane, etc.). Pour les fractions de tribus recensées en 1974, la coupure avec leurs racines, voulues par le franquisme ne date que de 1958, c’est-à-dire après les derniers combats autour d’Ifni et de différents points du Sahara, précédant la dissolution de l’Armée de Libération. Les dirigeants du Polisario nés dans le territoire dit du Rio de Oro au cours des années 50 ne connaissent que la littérature que la censure franquiste a bien voulu laisser passer. C’est-à-dire presque rien !
3.- « Assurer une veille critique du rôle des medias non seulement pour une meilleure diffusion de la cause sahraouie dans la société et dans l’opinion publique mais aussi pour la dénonciation des violations des droits humains dans les territoires occupés ». En clair servir de lobby de pression pour faire passer le message du Polisario dans l’opinion publique en noircissant à dessein l’image du Maroc « puissance occupante » au plan du respect des droits de l’Homme. Rien que ça !
Une dette envers qui ?
Le chef d’œuvre du Manifeste a été gardé pour la conclusion : « Finalement, nous affirmons que c’est seulement par l’adoption et la mise en œuvre de politiques de cette nature, que l’on pourrait commencer à réparer dignement et quoique de façon insuffisante et tardive, l’immense dette de reconnaissance, d’affection et de remerciement que l’Espagne a contractée envers le peuple sahraoui ».
Signalons tout d’abord que le Manifeste ne parle jamais du peuple marocain mais seulement du gouvernement du Maroc avec beaucoup de condescendance. Pourtant, les journées des Universités Madrilènes auraient certainement gagné en crédibilité si les partis politiques marocains qui ont combattu le colonialisme sous toutes ses formes, sans compter l’arbitraire du pouvoir politique et qui l’ont chèrement payé, avaient été invités à débattre de questions qui au fond les concernent au premier chef. Ne voulait-on pas laisser entendre à son auditoire que le contentieux du Sahara oppose en réalité le peuple marocain au régime militaire algérien ?
Que signifie enfin cette dette de l’Espagne envers le peuple sahraoui ? Depuis quand le Polisario a-t-il subi la répression franquiste ?
En réalité, la seule dette de l’Espagne est envers le Maroc dans son ensemble, car depuis le XIX è et jusqu’en 1958, les guerres coloniales les plus sanglantes l’ont été avec l’Espagne davantage qu’avec la France.
Tout au long du XIXè et de façon continue avec les tribus des Gueliiya autour de Melilla et les Aït BaAmrane autour d’Ifni, en 1860 avec la bataille de Tétouan, au début du XX è avec toujours les Gueliiya sous la direction du Chrif Ameziane (la bataille d’el barranco del Lobo) puis la guerre du Rif sous la direction d’Abdelkrim, contre qui tous les armements ont été expérimentés et enfin la guerre 1957-1958 menée par l’A.L. du Sud autour d’Ifni et au Sahara. Une lourde dette de sang !
Et cette dictature franquiste qui a enrôlé à tour de bras, comme chair à canons, des dizaines de milliers de jeunes rifains pour aller combattre la légalité républicaine pour une cause qui leur était complètement étrangère, en laissant végéter le Nord du Maroc dans un état de sous-développement dont les habitants paient encore à ce jour les conséquences.
Pourquoi donc cette amnésie envers le peuple marocain qui mériterait, en premier, une parcelle de solidarité des Universités Madrilènes pour s’acquitter de l’énorme dette de sang qui lui est due.
Il n’y a pas de peuples méprisables dont on aurait le droit de bafouer la dignité en ignorant même leur existence. Certes les exactions commises lors de la guerre civile ont marqué la mémoire des générations, particulièrement des madrilènes. La majorité des recrues des « Regulares » comme l’ont attesté en leur temps « El Sol » et « El Mundo Obrero » n’avait même pas été volontaires mais enrôlés de force. Le reste avait été carrément abusé par la description de la mission qui les attendait. Ceci n’excuse en rien les atrocités qui ont souvent été commises en particulier lors de la prise de l’Université de Madrid qui était restée le dernier bastion des forces républicaines.
A soixante-dix ans de distance, les Universités Publiques de Madrid ne devraient plus garder de ressentiment envers le Maroc qui ne saurait avoir de responsabilité dans ces atrocités, un voisin qui a, lui aussi, souffert dans sa chair de la dictature franquiste. Qui plus est, un pays proche géographiquement, historiquement et culturellement, dont des millions de citoyens parlent couramment la langue, à commencer par son roi, ce qui constitue une exception dans le monde arabe.
La seule et grande question qui se pose aujourd’hui aux universitaires madrilènes est de savoir ce qui doit être fait en direction du Maroc pour « réparer dignement et quoique de façon insuffisante et tardive, l’immense dette de reconnaissance, d’affection et de remerciement que l’Espagne a contractée envers lui » ? Sans se tromper d’adresse cette fois !
Mourad Akalay
Le 20 juillet 2008